Du snack content au slow content : ralentir pour donner du sens
Le format court a-t-il atteint ses limites ?
47 secondes.
C’est notre temps d’attention moyen. Soit 103 secondes de moins qu’il y a 20 ans 🥲
Depuis des années, on nous répète (et pas seulement nos darons) que notre capacité de concentration se rapproche dangereusement de celle d’un poisson rouge (sous weed).
Cette baisse n’est ni un hasard ni une simple fatalité biologique : l’évolution culturelle et technologique a joué un rôle sur notre manière de consommer l’info.
Chaque vidéo devient alors plus courte, plus dynamique, plus cut. On raccourcit, on accélère*, on abrège. Une logique de consommation effrénée où chaque seconde compte (comme dirait Faf La Rage “j'ai pas le temps mon esprit glisse ailleurs” pour les vieux comme moi qui ont connu Prison Break)
*Sur YouTube par exemple, l’utilisation de la fonctionnalité x1,5 ou x2 se démocratise et ça s’intensifie en fonction de l’heure de la journée : plus il est tard, plus on a tendance à accélérer le visionnage. Apparemment, YouTube reçoit même des demandes pour développer des vitesses x3, x3.5 et x4 🫠
Dans la musique aussi, le succès du SpedUp n’est plus à prouver : ces remix accélérés à +10% ou 20% répondent parfaitement aux rythmes ultra-stimulants des réseaux. Et la viralité d’une version SpedUp d’une chanson peut même dépasser l'originale, comme par exemple Bloody Mary de Lady Gaga (maintenant quand on l’écoute en vitesse normale, on a comme l’impression que Gaga sort de la sieste 🙃).
Oui, le format court règne en maître sur les réseaux : TikTok, Meta Reels, YouTube Shorts, Snapchat Spotlight, LinkedIn (et même Substack !)… Bref, tout le monde s’y est mis.
Mais le format long n’a pas dit son dernier mot
Si le court (comprenez : moins d’1 minute) cartonne, je peux pas m’empêcher de m’interroger sur les efforts que déploient en parallèle les plateformes pour encourager les formats plus longs : TikTok autorise les vidéos de 10 minutes (voire UNE HEUREEE quand tu les téléverses), là où YouTube Short et Instagram Reels ont poussé à 3 minutes.
Évidemment, pas besoin d’être Einstein pour comprendre pourquoi : plus les plateformes retiennent un utilisateur longtemps, plus elles engrangent des revenus publicitaires 🤑
👉 Mais est-ce qu’une vidéo de 3 minutes (ou +) peut vraiment rivaliser avec un bon vieux TikTok de quelques secondes ?
👉 Peut-elle capter un public habitué à scroller plus vite que son ombre ? (pardon pour cette expression de boomeuse)
👉 Et surtout, est-ce que les marques doivent y investir du temps (et de l’argent) ?
Et si le vrai problème n’était pas la durée ? 🤔
Je suis tombée dernièrement sur un post LinkedIn qui soulevait une hypothèse très intéressante :
Et si on ne manquait pas d’attention, mais plutôt de contenus qui en valent la peine ?
Il y a tellement de contenus nazes qu’on passe notre temps à skipper, cherchant désespérément quelque chose qui mérite notre temps. En partant de ce postulat, l’analyse du début serait biaisée, non ?
Le temps de vous laisser méditer sur la question, prenons l’exemple de Kaizen. Preuve que le format long fonctionne sans problème quand il est bien pensé : le documentaire d’Inoxtag dure 2h30 et cumule pourtant 42 MILLIOOOONS de vues.
Le format long : raconter des histoires et mettre du sens
Loin d’être un effet de mode, les formats longs répondent avant tout au besoin ancestral de raconter des histoires.
Là où un format court est parfait pour capter l’attention immédiate et générer de la viralité, le format long offre le temps de développer des récits plus complexes, transmettre des émotions et… installer un véritable lien émotionnel avec l’audience 🫶
Pas étonnant que les influenceurs s’autorisent donc à poster des vidéos de 1h, des podcasts de 2, et des storytimes à rallonge ponctués de “euh…” et de “mmmhh…” qui feraient fuir n’importe quel misophone.
👉 Ils savent que leurs communautés seront au rendez-vous.
Mais pour une marque, l’exercice est plus délicat : dans un contexte de défiance généralisée et avec 34 % des conso estimant que trop d’auto-promo nuit à l’image des marques sur les réseaux, la frontière entre faire un storytelling captivant et tomber dans une loooooongue pub déguisée (que personne n’a demandée) est mince 🥶
Réussir un format long en tant que marque
Parce que je suis de nature optimiste, je pense que les marques peuvent tout à fait faire de longs contenus qui passionnent. A quelques conditions peut être :
💁♀️ Evitez l’auto-promo (ça fait mauvais genre)
Les marques les plus pertinentes dans l’exercice du format long élargissent leur propos en s’intéressant à ce qui gravite autour de leur univers. Elles ne parlent pas d’elles-mêmes, elles explorent des thématiques profondes en lien avec leur purpose – le fameux “pourquoi” qu’on a tous appris dans nos livres de marketing 🤓
✅ Elargissez le sujet à votre secteur et ses enjeux : dans son documentaire The Shitthropocene, Patagonia se concentre par exemple sur des problématiques environnementales bien au-delà de ses produits. Plus récemment, la marque a produit “Peak Of Evil”, un autre doc qui retrace cette fois le parcours incroyable de 2 snowboarders sur les chaînes de l’Himalaya.
✅ Laissez les autres parler pour vous, ou intégrez-vous dans les conversations (ça a quand même plus de gueule) : par exemple, l’année dernière Nike s’est positionné comme soutien majeur du film “Don’t Think We’re Sleeping”) dans lequel on suit 3 sportifs qui ont pour objectifs communs les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
Prescripteurs, consommateurs, collaborateurs, personnalités publiques, ambassadeurs,… C’est toujours plus crédible et puissant d’ancrer la marque dans des conversations plus larges ou portées par d’autres que de s’auto-congratuler. C’est d’ailleurs ce qu’on appelle “l’effet messager”.
L'effet messager : c’est quand l'impact d'un message est fortement influencé par la personne qui le transmet, plus précisément par les caractéristiques du messager, plutôt que par le contenu du message lui-même.
👀 Identifiez bien votre enjeu
Un autre défi serait de bien identifier à qui on parle et pourquoi (ok, ça vaut pas seulement pour les formats longs, mais disons que si vous vous loupez sur un docu que vous avez pris des mois à faire, c’est quand même plus dommageable que pour un TikTok de 10sc 🥲)
Parce qu’embarquer un nouveau public dans votre univers ou approfondir la relation avec une audience fan, c’est pas tout à fait la même chose. L’un n’empêche pas l’autre, mais vouloir s’adresser à tout le monde sans stratégie claire et les bons niveaux de lecture, c’est risquer de ne convaincre personne. 🤡
✅ Pour embarquer un nouveau public, misez sur l’accessibilité et l’inclusion :
L’émotion et le storytelling : des récits humains et inspirants qui parlent à tout le monde, sans nécessiter de connaissance préalable
Des message simples : un langage clair, sans jargon, pour éviter de perdre tout le monde
L’exemple parfait : les documentaires Netflix Drive to Survive (sur la Formule 1) et Full Swing (sur le golf). Ces sports, à la base perçus comme élitistes, ont malgré tout conquis de nouveaux publics avec des récits… plus émouvants que réellement sportifs 🙃
✅ Pour un public d’initiés, pensez valeurs, exclusivité et profondeur :
Les détails et les coulisses
Des experts
Une expérience immersive et interactive
Offrir des références pointues et des easter eggs
Par exemple : dans sa série podcast Into the Mix, Ben & Jerry’s aborde, dans chaque épisode de 45mn, différents sujets clés et assez pointus des élections présidentielles aux US 🥲
🧠 Dans tous les cas, pensez malin (purée j’ai vraiment 175 ans)
✅ Adaptez vos formats longs en capsules courtes : ce sera l’occasion de rentabiliser la production en multipliant les points de contact et en profitant aussi des leviers immédiats du format court
✅ Si le long vous fait quand même peur, vous pouvez aussi le découper en saga d’épisodes courts. Les sagas ont vraiment la côte en ce moment car ça combine le meilleur des deux mondes : une attention rapide pour chaque vidéo et une fidélisation progressive au fil des épisodes.
✅ Choisissez le bon canal : si vous voulez retenir un spectateur attentif pendant de longues minutes, veillez à ce qu’il soit dans les conditions idéales, notamment sur une plateforme propice à un visionnage plus long.
En parlant de ça, vous saviez que YouTube est désormais consommé principalement sur la TV devant le mobile aux US ? 🙃
✅ Pensez aux partenariats : là encore, optimisez les conditions de visionnage en collaborant avec des studios de production ou des créateurs de contenu rôdés à l’exercice. Ça vous permettra sûrement d’alléger la prod, mais aussi de toucher une audience déjà engagée.
✅ Faites aussi long que nécessaire, et aussi court que possible. J’adore ce mantra. Il résume tout. Je crois que je vais me le faire tatouer.
Formats longs : pour ou contre en 2025 ?
Opposer formats courts et formats longs n’a en réalité pas vraiment de sens.
Les formats courts attirent, captent l’attention et génèrent du reach rapidement, tandis que les formats longs approfondissent, fidélisent et construisent une relation plus durable avec une audience engagée.
Ils ont chacun leurs avantages et leurs limites :
Alors après des années de guerre de l’attention et de doomscrolling, c’est logique que les marques cherchent plus que jamais à créer du lien plutôt qu’à capter un intérêt artificiel, dopé aux montages et musiques sous LSD.
Et je pense que les consommateurs, eux aussi, veulent des contenus qui les intéressent vraiment. Dans lesquels ils peuvent s’investir.
Est-ce que les formats longs peuvent pour autant remplacer les formats courts ?
Je pense pas. En tout cas, pas à grande échelle.
Plus coûteux, plus chronophages, plus engageants, ils resteront surtout un levier pour les annonceurs les plus ambitieux, ceux qui veulent aller au-delà de la visibilité pour raconter des histoires qui marquent.
Mais s’ils ne deviennent pas la norme, ils pourraient bien s’imposer comme une tendance forte en 2025 👀